
Longtemps associée aux palais et aux meubles d’apparat, la marqueterie conserve le parfum raffiné des arts décoratifs de l’Ancien Régime. Apparue à la Renaissance et sublimée par les maîtres ébénistes du XVIIIᵉ siècle, cette technique d’incrustation de bois, d’ivoire, de nacre ou de métal a façonné l’imaginaire du luxe.
Le nom d’André-Charles Boulle, ébéniste de Louis XIV, reste d’ailleurs indissociable de cet art, au point que l’expression « marqueterie Boulle » est devenue une référence. Mais si la discipline s’est un temps figée dans les salons de Versailles, elle connaît aujourd’hui une nouvelle vie, entre fidélité aux gestes anciens et relectures contemporaines.
Brève histoire de la marqueterie
Née en Italie au Quattrocento, début de la renaissance, la marqueterie s’est rapidement diffusée dans les cours européennes, gagnant ses lettres de noblesse notamment en France avec l’ébéniste André-Charles Boulle, dont le mobilier ornait les appartements royaux. Aux 17e et 18e siècles, elle devient synonyme de prestige, rivalisant avec les tapisseries et la peinture décorative.
Les artisans combinent alors essences précieuses de bois (comme la palissandre), nacre et métaux pour dessiner paysages, scènes mythologiques ou encore motifs géométriques raffinés. L’art s’étend même aux incrustations de marbres, témoignage d’une virtuosité qui dépassait le bois.
La marqueterie est un art qui n’a cessé de se réinventer. L’époque Art déco marque une nouvelle étape : elle se simplifie, se géométrise, trouve un nouveau souffle dans les ateliers des décorateurs et ébénistes Jacques-Émile Ruhlmann (1879–1933) et André Groult (1884–1966).
Puis, après une période d’oubli au 20e siècle, le savoir-faire revient aujourd’hui au cœur de la création contemporaine.
Les figures et héritiers contemporains
Aujourd’hui, le paysage de la marqueterie contemporaine se partage entre deux dynamiques : d’un côté les ateliers qui perpétuent le geste avec la même rigueur qu’hier, de l’autre des créateurs contemporains qui bousculent les codes et insufflent un nouveau rythme.
Entre patrimoine et audace, la marqueterie se lit aujourd’hui comme un dialogue entre passé et présent.
Les gardiens du geste
Lison de Caunes : ambassadrice de la marqueterie de paille
Figure incontournable de cet artisanat, elle a redonné ses lettres de noblesse à ce savoir-faire rare. Son atelier collabore avec Cartier ou Hermès et transforme chaque brin de paille en matière précieuse, posée avec une minutie joaillière.

Tim Gosling : gardien d’une élégance classiciste
Designer britannique, il perpétue une esthétique plus classiciste, inspirée par les intérieurs georgiens et victoriens. Un travail de mémoire qui ancre la marqueterie dans une continuité patrimoniale.


Les nouveaux visages de la marqueterie
Julia Fritz : la prodige de la nouvelle génération
Jeune prodige, elle s’impose par une vision audacieuse et rigoureuse. Ses recherches témoignent d’une génération qui considère la marqueterie comme un langage plastique actuel.


Lucy Turner : l’électrique touche pop
Elle dynamite les codes avec des meubles pop et graphiques, inspirés des années 50 et 60. Son travail coloré du bois fait éclater la discipline hors de son cadre historique.


Alison Elizabeth Taylor : l’hyperréalisme en bois
Aux États-Unis, elle détourne la marqueterie pour créer des tableaux hyperréalistes, où le bois remplace la peinture. Ses œuvres, célébrées notamment par le magazine Forbes, incarnent la réinvention du médium au 21e siècle.


Nathalie Melon : la rencontre du métal et de la marqueterie
Elle associe marqueterie et métal pour concevoir des masques féminins aussi intrigants que sculpturaux. Un travail hybride qui questionne la frontière entre artisanat, parure et art rituel.

Atelier Beyssac : entre tradition et architecture contemporaine
Ses compositions architecturales illustrent à merveille l’équilibre entre tradition et modernité. L’élégance intemporelle s’y conjugue à une audace contemporaine subtile.


Ces démarches révèlent la puissance d’adaptation de la marqueterie. Tantôt gardienne d’un temps révolu, tantôt laboratoire avant-gardiste, elle séduit par son jeu de matières et de textures.
Elle n’est plus cantonnée à l’ornementation : elle devient un langage, capable de raconter l’histoire d’une époque ou d’un regard.
Un art ancien, qui paradoxalement, n’a peut-être jamais été aussi contemporain.