Pigments cultes : 7 couleurs qui ont marqué l’art, le design et la mode

Certaines couleurs traversent les siècles et les tendances sans jamais perdre de leur aura. Elles incarnent à elles seules un style, une époque, voire une révolution artistique ou stylistique. Issues de l’art, de la mode ou du design, ces teintes ont su s’imposer comme de véritables signatures visuelles. Le bleu absolu d’Yves Klein, le rose foudroyant de Schiaparelli ou encore le vert incandescent de Bottega Veneta racontent bien plus qu’un simple choix esthétique : elles traduisent une époque, une vision artistique ou une révolution esthétique.
Bleu Klein : le bleu du vide et de l’infini
Créé en 1960 par Yves Klein et le marchand d’art Édouard Adam, l’International Klein Blue (IKB) repose sur un pigment ultramarin encapsulé dans un liant synthétique breveté, le Rhodopas M60A, qui amplifie sa profondeur et sa luminosité.
Ce bleu vibrant, célébré dans ses séries d’Anthropométries, où les corps de modèles deviennent empreintes humaines d’un cosmos bleu, évoque un univers à la fois spirituel et infini. Yves Klein choisit ce chromatisme en référence aux fresques de Giotto à Assise, cherchant la sublimation du vide.
Le résultat : un bleu d’une intensité rare, qui traverse les époques et reste une référence incontournable dans le design contemporain. Dès 1961, Yves Klein imagine la Table Bleue, une œuvre design composée de bois, de verre et de pigment IKB pur. Produite à la main en série très limitée (environ 100 exemplaires par an), elle est encore éditée aujourd’hui par les Archives Yves Klein et demeure l’une des rares transpositions du monochrome dans le mobilier.
« Le bleu n’a pas de dimensions, il est hors dimension. » — Yves Klein

Rose Schiaparelli : l’éclat subversif de la féminité
Dans les années 1930, Elsa Schiaparelli fusionne art et mode en inventant le Shocking Pink. La teinte s’inspire d’un diamant Cartier de couleur rose fuchsia porté par Daisy Fellowes, mondaine et muse du style, dont l’intensité flamboyante aurait fasciné la créatrice. Ce magenta transgressif devient le symbole d’une féminité subversive.
Elle apparaît notamment dans le parfum Shocking! (1937), dont le flacon, pensé comme un buste stylisé, résonne avec la silhouette iconique de Mae West. Plus tard, Marilyn Monroe immortalise ce rose dans Gentlemen Prefer Blondes (1953), imposant ce fuchsia comme une déclaration avant-gardiste.

Le Shocking Pink s’impose rapidement comme une couleur signature forte, aussi reconnaissable qu’inhabituelle dans l’univers de la couture de l’époque. La teinte est aujourd’hui référencée dans le nuancier Pantone sous le code 17‑2127 TPX.
Le rose « shocking » était la couleur signature de Schiaparelli. Elle décrivait le rose vif comme “porteur de vie, comme toute la lumière, les oiseaux et les poissons du monde réunis…”
Gris Trianon : la noblesse discrète de Dior
Ce gris raffiné, aussi appelé Gris Trianon ou Gris Dior, remonte à la fin du 18e siècle et évoque l’esthétique classique et épurée du Grand Trianon à Versailles.

Christian Dior l’adopte dès 1947, en en faisant la pierre angulaire de son univers visuel. Julien Tavernier, expert du style Dior, décrit ce gris comme « modeste et luxueux, à l’image de la maison ». Aujourd’hui utilisé dans les vitrines, parfums et campagnes visuelles de Dior, il incarne une sobriété élégante qui traverse les âges.
Orange Hermès & Rouge H : le luxe en couleurs signatures
En 1942, alors que la Seconde Guerre mondiale impose des restrictions sur les matériaux, Hermès se retrouve contraint d’utiliser un carton orange vif, seule couleur disponible chez son fournisseur. Ce choix forcé devient rapidement un geste audacieux : dès 1949, la boîte orange est rehaussée d’un ruban chocolat, et la combinaison devient immédiatement reconnaissable.
Ce packaging inattendu s’impose comme une signature visuelle forte. En 1994, il reçoit un Packaging Oscar, une distinction rare dans l’univers du luxe, qui consacre autant l’audace que l’élégance intemporelle de la maison. Plus qu’un simple contenant, la boîte orange est aujourd’hui un emblème mondialement reconnu du luxe à la française.

Autre couleur culte de la maison, bien que moins connue du grand public : le Rouge H. Ce rouge profond, presque acajou, a été introduit en 1925 pour habiller le cuir. Discret et sophistiqué, il reste un coloris rare et convoité, notamment pour les sacs Birkin ou Kelly. Le Rouge H incarne à lui seul la palette élégante et intemporelle d’Hermès, un luxe qui murmure plutôt qu’il ne crie.
Bleu Tiffany : l’élégance en écrin
Adopté dès 1845 pour la couverture du Blue Book, le catalogue de bijoux de Tiffany & Co., le Bleu Tiffany — un turquoise doux et lumineux — marque le début d’une identité visuelle forte, étroitement associée au luxe et à la sophistication.
En 1998, Tiffany & Co. fait officiellement déposer cette teinte en tant que marque, avant de collaborer avec Pantone en 2001 pour la codifier sous le nom 1837 Blue, en hommage à l’année de fondation de la maison. Laurie Pressman, vice-présidente du Pantone Color Institute, évoque alors une couleur qui incarne à la fois la fraîcheur, l’évasion et une forme d’élégance rare : « vibrancy and escape », soit le dynamisme et l’évasion.

Le Tiffany Blue s’est imposé bien au-delà des écrins joailliers. Il entre dans la culture populaire avec Breakfast at Tiffany’s, où Audrey Hepburn, postée devant la boutique new-yorkaise, cristallise l’élégance incarnée par ce bleu. En 2018, la marque va plus loin encore : taxis, escalators et MetroCards new-yorkais sont repeints à son image pour le lancement de la collection Paper Flowers, transformant la ville en un décor monochrome.
En 2017, l’ouverture du Blue Box Café au flagship de la 5ᵉ avenue parachève cette immersion chromatique totale.
Vantablack : le noir interdit
Développé par Surrey NanoSystems, le Vantablack est le noir le plus profond au monde, absorbant 99,96 % de la lumière via des nanotubes de carbone.
En 2016, Anish Kapoor obtient son exclusivité artistique, ce qui provoque l’irruption de Stuart Semple, qui crée le “Pinkest Pink” et “Black 2.0”, des pigments ouverts à tous sauf Kapoor.

Ce duel chromatique interroge l’accès à la couleur, la propriété intellectuelle, et le droit à la création — un vrai clash esthético-culturel.
Vert Bottega : l’audace d’un vert nouvelle génération
Entre 2019 et 2021, sous l’impulsion de Daniel Lee, Bottega Veneta impose son vert parakeet, un vert vibrant inspiré du plumage de perruches — visible dans le sac Pouch, le cabas Cassette ou les bottes Puddle. Ce vert vitaminé a transformé les codes du luxe contemporain : lumineux, graphique et immédiatement reconnaissable. Il représente le renouveau, un souffle de couleur sur des lignes épurées, affirmant que le minimalisme n’empêche pas l’impact visuel.

Ce vert n’est pas une pure invention : il puise aussi dans l’histoire de la maison. En 1985, Andy Warhol réalise pour Bottega Veneta le court-métrage Industrial Videotape, où cette nuance de vert apparaît déjà en toile de fond. Daniel Lee la remet en lumière lors du défilé Printemps-Été 2021, présenté dans un décor entièrement monochrome.
Son succès coïncide avec une période de transition post-pandémie, où la mode s’éloigne des teintes neutres pour embrasser des palettes plus audacieuses. Le vert Bottega devient alors l’un des symboles visuels de ce tournant esthétique.
Ces teintes ne sont pas de simples pigments : elles incarnent des courants artistiques et des audaces créatives. Chaque couleur iconique est le reflet d’un univers, d’un imaginaire ou d’une rupture, devenant un symbole aussi puissant qu’un nom, une silhouette ou un logo.
Dans un monde saturé d’images et d’univers chromatiques de plus en plus neutres, ces nuances continuent de fasciner, parce qu’elles racontent quelque chose d’éternel et de profondément humain.